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DE SAINT-POINT.

» — Je ne souffre plus, monsieur, j’aime et j’espère.

» — Et vous croyez, n’est-ce pas, aussi ?

» — Non, monsieur, je n’ai pas la peine de croire. Je vis de deux amours ; l’amour, n’est-ce pas la foi ? J’en ai pour deux.

» — Ainsi, vous n’êtes pas trop malheureux ?

» — Pas du tout, monsieur : Dieu m’a fait la grâce de le voir partout, même dans mes peines. Peut-on être malheureux dans la compagnie du bon Dieu ? »

Je revins encore souvent pendant le même été visiter Claude et m’entretenir avec lui de choses et d’autres, mais surtout des choses d’en haut. Je trouvais toujours le même goût à sa simplicité et à l’onction de ses paroles. Il était pour moi comme un de ces troncs d’arbres où les mouches à miel ont laissé un rayon sous la rude écorce, et qu’on va sucer avec délices quand on le découvre, après une longue marche au soleil, au bord d’un bois.

Je passai quelque temps sans revenir à Saint-Point. J’y revins en 18…, je montai aux Huttes, je n’y trouvai qu’un chevreau sauvage qui broutait l’herbe poussée sur le seuil de la cabane vide et abandonnée. Un monticule de plus s’élevait dans l’enclos, à côté de celui où dormait Denise.

Je rencontrai en redescendant un des fils du coquetier, qui allait ramasser des prunes tombées sous le vent dans le verger des Huttes, pour en remplir les paniers de son âne. Claude est donc mort ? lui dis-je.

— Oui, monsieur, il y a deux ans à la Saint-Martin, me répondit ce pauvre boiteux.

— Et de quoi est-il mort ?

— Oh ! il est mort de l’amour de Dieu, à ce que dit monsieur le curé.

Comment, de l’amour de Dieu, Benoît ? On en vit, mais on n’en meurt pas, lui dis-je ; c’est peut-être aussi de l’amour de Denise ?

— Ah ! monsieur, voilà ! Il aimait tant le bon Dieu, celui-là, qu’il ne pensait plus à lui, pas plus qu’une hiron-