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LE TAILLEUR DE PIERRE

« Et vous vivez là, lui dis-je avec pitié, toujours face à face avec votre amour évanoui ?

» — Je ne pourrais plus vivre ailleurs, me dit-il ; mon cœur a pris racine comme ce buis, qui puise sa séve dans la mort.

» — Et ne murmurez-vous donc jamais en vous-même, Claude, contre cette Providence qui vous a montré le bonheur de si près deux fois, pour vous le ravir lorsque vous croyiez le tenir dans vos bras ?

» — Moi murmurer contre le bon Dieu, monsieur ? s’écria-t-il. Oh ! non ! il sait ce qu’il fait, et nous, nous ne savons que ce que nous souffrons. Mais je me suis toujours imaginé que les souffrances, c’étaient les désirs du cœur de l’homme écrasés dans son cœur jusqu’à ce qu’il en sortît la résignation, c’est-à-dire la prière parfaite, la volonté humaine pliée sous la main d’en haut.

» — Mais ce désir plié sous la main d’en haut ne se redressera-t-il jamais, Claude, comme le ressort comprimé, quand on enlève le poids qui le courbe ?

» — Oui, monsieur ; mais s’il se redresse dans ce monde, c’est la révolte, et, s’il se redresse là-haut, c’est le paradis.

» — Et qu’est-ce que le paradis, selon vous, Claude ?

» — C’est la volonté de Dieu dans le ciel comme sur la terre, monsieur.

» — Mais, si cette volonté se trouvait contraire à la vôtre là-haut encore, et vous séparait de nouveau de ce que vous aimez ?

» — Eh bien, j’attendrais encore, oui, monsieur, j’attendrais une éternité sans murmurer, jusqu’à ce que le bon Dieu me dît : « Voilà ce que tu cherches » !

» — Vous croyez donc fermement retrouver Denise ?

» — Oui, monsieur.

» — Et quand ?

» — Quand il plaira à Dieu.

» — Et, en attendant, souffrez-vous ?