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LE TAILLEUR DE PIERRE

» La vieille mère sortit au bruit, à moitié vêtue, sur la galerie, pour voir quel malheur était arrivé à Denise.

» Elle me reconnut, jeta un cri, étendit les bras. J’y courus, je l’embrassai, je la reportai sur son lit de mort. Puis je vins relever et reconsoler Denise à moitié évanouie de sa peur, et je la soutins dans mes bras pour la ramener toute tremblante à la maison et pour la rasseoir sur le banc de bois auprès de la nappe.

» — Est-ce bien vous, Claude, sous ces pauvres habits ? me dit-elle.

» — Est-ce bien toi, mon pauvre enfant, sous cette besace de mendiant ? Est-ce que la maison est assez malheureuse pour qu’un enfant des Huttes si gentil au travail et si serviable aux autres cherche aujourd’hui son pain de porte en porte ? Ah ! mon Dieu !… »

» Je les rassurai bien vite en leur avouant pourquoi j’avais changé d’habits avec l’idiot sur la côte de Milly, afin de ne pas être reconnu des bergers et de savoir des nouvelles de la maison, sans y rentrer pourtant si… Je n’osai pas achever toute ma pensée, de peur de rappeler le passé à Denise ; mais je tirai du gousset de mon gilet une poignée de pièces de trente sous que j’avais gagnées et mises de côté cette fois, à Lyon et à Macon, pour la maison, si on avait besoin d’argent, et je montrai à ma mère et à Denise les manches de ma chemise, qui était de belle toile de coton rayée, comme les plus fières filles du pays auraient été bien heureuses d’en avoir de pareille pour se faire des gorgères ou des tabliers.

» À ces signes les deux femmes restèrent convaincues que je n’étais pas devenu un mauvais sujet et un mendiant rentrant chez lui pour avilir sa famille.

» Elles me firent boire et manger avec les enfants, qui s’accoutumaient à moi et qui riaient en s’affublant du manteau et de la besace du mendiant. Je leur racontai en peu de mots mes voyages de tour de France. « Mon Dieu !