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DE SAINT-POINT.

aux plus malheureux que moi, de passer mon temps honnêtement dans l’état où Dieu m’avait mis sur cette terre, et d’être réuni après avec Denise dans son sein, pour l’aimer et pour nous aimer sans fin. Quant à tout le reste, cela m’était bien égal ; un Dieu, un amour, une éternité, cela suffisait bien à un pauvre paysan comme moi. Je n’ai jamais eu l’ambition de la richesse, ni de la science, ni de commander aux autres. Je ne me suis jamais senti que le besoin d’aimer et de rendre heureux, selon mes forces, autour de moi.

Moi. — Vous dites que vous n’avez jamais eu l’ambition de la science ; cependant cet Être, auquel vous avez pensé depuis que vous êtes né, est la science suprême. Est-ce que vous n’avez jamais cherché à entendre parler de lui par de plus savants que vous ; à savoir les différents noms qu’on lui a donnés dans les différents âges de la terre, dans les différentes langues et dans les différents cultes ? En un mot, vous qui étiez tout amour et tout prière devant notre souverain Maître à tous, ne lui récitiez-vous pas aussi un acte de foi en lui, un Credo, comme on dit en latin à l’église ? Et quel était ce Credo, que vous vous étiez sans doute fait à vous-même par votre perpétuelle adoration ?

Lui. — Oh ! monsieur, mon Credo, il n’était pas long ! Il consistait en peu de paroles : « Vous êtes avant tout, vous êtes partout et vous serez après tout. Je sors de vous, je serai appelé à vous, je ne puis rien savoir hors de vous. Je désire croire de vous ce qu’il vous plaira de m’en faire connaître, je ne puis pas avoir le regard plus long que les yeux. C’est à vous d’y peindre votre image comme vous voulez que je l’adore ! Mon esprit est petit ; j’aurai beau l’étendre, vous le déborderez toujours ! Faites-moi croire vous-même ce que vous voudrez ! » La bête du bon Dieu que vous voyez là, et qui s’épanouit des ailes sur cette mousse, ne peut pas faire son Credo au soleil ; elle ne peut pas lui dire : « Tes rayons sont ceci ou cela ; mais elle lui