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LE TAILLEUR DE PIERRE

suis l’ami de tout ce qui est sorti de ma propre vie pour vivre ! Et je suis ton consolateur, car c’est par ma volonté et pour ma volonté que tu souffres ! Et tu peux me parler comme à un confident, car je t’entends sans que tu parles ! Et je suis en haut et je suis en bas, et je suis avant et je suis après, et je suis la mer où tu peux tout jeter de tes désirs, de tes peines, de tes espérances, sans crainte de ne pas retrouver une de tes respirations, une de tes gouttes de sueur, une de tes larmes : car je rends tout, je suis le ciel de tout, le fond de tout, le bord de tout, je suis tout, et rien ne peut fuir de moi, excepté dans le néant, et le néant, c’est un mot des hommes bornés ! il n’y a pas de néant ! je le remplis ! Mon vrai nom, c’est vie. » Et mille comme cela, monsieur, que j’écoutais et que je croyais un peu comprendre, bien qu’elles fussent tant au-dessus de ma compréhension. Et, après que cette parole m’avait remué un moment comme le battant de la cloche remue l’air en y donnant un coup de marteau avant d’y répandre la musique de l’Angelus à travers les feuilles que cette musique fait frissonner en passant ; après, disais-je, monsieur, que cette parole m’avait remué un moment, elle répandait en moi une musique, une paix, une lumière, tellement qu’on aurait dit, tant je me sentais bien, qu’on avait descendu une étoile du ciel pour m’éclairer l’esprit en dedans, ou qu’une main avait accordé toutes les cordes de mon cœur, de ma tête et de mon corps, comme l’organiste accorde ses fils de laiton et ses tuyaux, de manière que je devenais moi-même un instrument qui chantait juste et sur lequel les mains de Dieu pouvaient quasiment jouer en moi ! C’étaient de doux moments à travers mes peines, monsieur : ça me faisait quelquefois pleurer des yeux du corps ; mais ça me séchait bien les yeux de l’âme, quand la mémoire de Denise pleurait trop dans mon pauvre cœur. Et puis je m’habituai ainsi à prier sans fin.

Moi. — Vous croyez donc que le Seigneur est comme