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LE TAILLEUR DE PIERRE

de remonter la revoir aux Huttes. Il me semblait que le bon Dieu l’avait cloué au milieu du ciel et qu’il ne redescendrait plus jamais du côté du château.

» Quand je revins à la hutte le soir, ma mère avait raconté à mon frère Gratien et à ma petite sœur Annette qu’elle voulait nous fiancer dans cinq semaines, Denise et moi, pour que nous réunissions les deux moitiés du champ des genêts, de l’enclos des pierres, et les gros châtaigniers dont la moitié des fruits appartenait au coquetier et l’autre à nous, selon que la branche pendait du côté de sa steppe ou de la nôtre ; ce qui occasionnait des paroles entre les deux branches de la famille. « Et puis, mon pauvre enfant, avait ajouté la mère, c’est aussi pour toi, vois-tu, que je désire ces fiançailles ; car une fois Denise mariée à la maison, elle ne risquera plus d’être demandée, comme elle l’a été déjà, par des garçons d’en bas, et de quitter les Huttes. Moi une fois morte et Denise absente pour toujours, que deviendrais-tu ? Qui est-ce qui te tiendrait la main dans les sentiers ? »

» Cette nouvelle avait bien réjoui mon frère et ma petite sœur. Mon frère disait : « Quel bonheur que Denise ne quitte plus la maison ! Je suis donc sûr d’avoir mon soleil toujours dans ses yeux. » Nous parlâmes des fiançailles joyeusement tout le soir, en mangeant la soupe. Tout était contentement dans les Huttes. Denise avait le cœur à tout ; elle allait, elle venait, elle n’avait jamais été si attentive pour couper le pain de mon pauvre frère et pour amuser Annette. Elle appelait ses poules dans la cour et ses pigeons sur le toit avec une voix que je ne lui avais jamais entendue. Il fut dit qu’on nous fiancerait le lendemain de la Pentecôte. Ma mère descendit à la vallée pour inviter les parents, parler au notaire et avertir le sonneur de carillonner ce matin-là.

» Depuis ce moment, nous commençâmes à nous parler, comme on dit, Denise et moi. C’est-à-dire, monsieur,