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LE TAILLEUR DE PIERRE

qui ne paraissent pas penser, mais qui vivent et qui meurent là, autour de moi sur la terre, et principalement pour celles que j’ai connues, comme ces fougères, comme ces bruyères, au bord de ces roches, dans cet enclos, quand j’étais petit, et surtout encore, ajouta-t-il plus tendrement, pour ces trèfles à fleurs roses et à feuilles pleines d’une goutte de rosée le matin, comme si elles avaient pleuré avec nous pendant la nuit, et qui poussent sur la terre de ceux d’autrefois !

(Il y eut un léger serrement de gorge sensible dans son accent à ces derniers mots. Je ne fis pas semblant de m’en apercevoir. Il continua avec un ton de rustique mais véritable inspiration.)

Oui, monsieur, il n’y a pas une de ces étoiles là-haut, au ciel, qui commencent à se lever dans la demi-ombre, par-dessus les roches ; pas une de ces cimes de montagnes, pas un de ces mamelons reluisants au soleil couchant, pas un de ces lits de ravines cachés dans les enfoncements de ces gorges avec leur eau qui dort ou qui bouillonne au fond, sous leur nuit, pas une de ces mottes de terre tournées et retournées par ma pioche au soleil, depuis mon enfance, pour lesquelles je ne me sente un fond d’attachement au cœur qui va souvent jusqu’à me faire pleurer quand je les regarde en remontant aux Huttes. « Est-ce donc étonnant, que je me dis quelquefois à moi-même. Est-ce que nous n’avons pas une véritable parenté de corps avec cette terre d’où nous sortons, où nous rentrons, qui nous porte, qui nous abreuve, qui nous nourrit comme une nourrice de ses mamelles ? Est-ce que notre chair n’est pas de sa chair ? Est-ce que notre sang n’est pas de l’eau de ses veines ? Est-ce qu’il n’y a pas entre elle et nous une véritable parenté de corps qui fait que, quand nous prenons dans la main une poignée de sable ou une motte de terre des collines qui nous ont portés, nous pouvons dire à ce grain de sable : « Tu es mon frère ; » et à cette motte de terre : « Tu es ma