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DE SAINT-POINT.

Moi. — Dieu me préserve de vous contredire, Claude ! vous voyez que, dans la religion, la plus sainte et la plus divine des victimes est celle qui a éprouvé le plus de cette miséricorde, qui n’est que l’attendrissement de cet amour pour nos semblables, et qui s’est sacrifiée elle-même pour racheter la vérité ou la vertu au genre humain. Ce qu’il y a de plus généreux dans le cœur de l’homme, c’est la pitié, Claude ! Pleurer sur les souffrances d’autrui, c’est se faire saigner le cœur sur des maux dont on pourrait détourner ses yeux ! Après son sang, ce que l’homme peut donner de plus de lui, c’est une larme ! N’est-ce pas une goutte de son propre cœur qu’il fait tomber pour le guérir sur le cœur d’autrui ? La miséricorde dont vous parlez est la plus belle forme de l’amour : car il y a un amour qui vous recherche pour vivre avec vous, c’est l’amour des sens ; mais il y a un amour qui vous poursuit pour souffrir avec vous et pour partager vos peines : c’est une belle inclination que cet amour, mais il fait bien souffrir ceux qui en ont été doués.

Lui. — C’est vrai, monsieur, mais il fait bien jouir aussi. Quant à moi, cette amitié que je me suis toujours sentie pour ceux qui ont des peines m’a bien souvent fait coucher tard et réveillé avant le jour. Je me dis : « Tu es tranquille et au chaud dans ta maison avec ton chien et tes chevreaux. Il y a du pain pour toi sur la planche, il y a de l’herbe dans la montagne ou dans le râtelier pour eux. Ton toit, quoiqu’il soit de genêt, est bien réparé contre la pluie et la neige. Tu n’as pas de souci pour ta femme ou pour tes enfants. Mais voilà un tel qui à ses tuiles écrasées sous son plancher écroulé, et son lit et les berceaux de ses petits exposés à tous les vents ; voilà cette pauvre veuve dont la maison a brûlé la semaine passée, et qui n’a pas un pauvre liard pour payer le tireur de pierre, le maçon et le couvreur pour se rebâtir un abri ; voilà ce vieillard qui n’a plus son fils pour lui piocher son morceau de terre ; voilà ces trois