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LE TAILLEUR DE PIERRE

hommes, les choses, les bêtes, et même les arbres et les plantes, tout ce qui est notre parent de corps ou d’âme, enfin, monsieur, ici-bas, tout ce qui est proche de nous, tout ce qui habite ou tout ce qui compose ce monde où Dieu nous a mis comme j’ai mis ces animaux dans cet enclos pour vivre en paix et en amitié autour de moi.

Moi. — Vous aimez tout cela ?

Lui. — Ah ! j’en aimerais bien d’autres, si j’en connaissais davantage. Je ne sais pas comment le bon Dieu m’a fait le cœur, monsieur, mais il est toujours plein et cependant toujours vide.

Moi. — Vous voulez dire qu’il est infini.

Lui. — Peut-être bien, monsieur, que ça veut dire ce que vous appelez comme ça. Quoi qu’il en soit, rien ne peut tout à fait le remplir. Le bon Dieu y jetterait des mondes pour me les faire aimer, que je crois qu’il y aurait encore de la place pour en tenir et pour en aimer d’autres. Ah ! de toutes les grâces que le bon Dieu nous a faites, surtout à nous autres pauvres hommes tout seuls, la plus grande est cette inclination à tout aimer. C’est comme une source chaude qui coule toujours du cœur, monsieur, et qui, après avoir arrosé ici, va arroser là, et qui ne s’arrête jamais de couler. C’est cette qualité du bon Dieu que les bonnes âmes appellent miséricorde, monsieur ! Miséricorde pour les affligés, pour les coupables, pour les pauvres, pour les riches, pour les vieillards, pour les veuves, pour les enfants, pour les hommes, pour les bêtes, pour les plantes, pour la terre même et pour les étoiles du ciel, si ces éléments eux-mêmes ont une sensibilité sourde ou intelligente, et si tout cela sent, crie et souffre à sa manière comme nous. Hélas ! monsieur, je crois bien que c’est là ce que le bon Dieu commande et inspire le plus à nous autres hommes. Car, sans cette miséricorde des uns pour les autres, que deviendrions-nous tous sur une terre si pétrie d’afflictions ?