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LE TAILLEUR DE PIERRE

serait-ce de nous ? Contentons-nous de faire sa volonté pendant ce petit moment sur la terre.

Moi. — Mais comment, Claude, avez-vous l’assurance que vous faites la volonté du bon Dieu ?

Lui. — Ah ! pour ça, monsieur, c’est différent ; je n’en sais rien ; mais j’en suis sûr.

Moi. — Mais, encore une fois, comment en êtes-vous sûr ?

Lui. — Comment, monsieur ? Parce que j’ai la, dans la poitrine et pas dans la tête… la tête a des vertiges, la tête chante, comme nous disons, nous autres, mais le cœur ne tourne jamais, et la conscience ne chante pas… parce que j’ai là (en frappant sur sa poitrine) un cœur et une conscience qui ont deux voix sourdes, mais claires, et qui me disent : « Ceci est bien, ceci est mal, ceci est juste, ceci est injuste, ceci est bon, ceci est mauvais ; » et ce qui est bien, ce qui est bon, ce qui est juste est la volonté de Dieu !

Moi. — Et qu’en savez-vous, encore une fois ?

Lui. — Je vous répète, monsieur, que je n’ai pas besoin de le savoir, puisque je le sens. Quand je me blesse avec mon marteau et que ma chair crie et saigne, je n’ai pas besoin de me prouver que je me suis fait mal, n’est-ce pas ? Je le sens tout seul ; eh bien, de même, quand je fais mal à mon âme en ne suivant pas la volonté de Dieu, je n’ai pas besoin de me le prouver, je le sens aussi fort, et mon âme crie et saigne en moi comme ma chair sous mon marteau. Ce qu’on sent, monsieur, c’est bien plus sûr que ce qu’on sait. C’est l’homme qui se fait ses raisonnements, mais c’est Dieu qui nous fait nos sentiments. Un sentiment, monsieur, c’est un raisonnement tout fait. Un monsieur comme vous me l’a bien dit un jour. « C’est l’homme qui pense, me disait-il, mais c’est la nature qui sent. Défie-toi de tes pensées, mais crois ferme en tes sentiments, car la nature en sait plus que toi et moi. Elle a entendu Dieu avant nous et de plus près que nous, vois-tu ? »

Moi. — Ce monsieur avait raison ; mais avez-vous bien