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LE TAILLEUR DE PIERRE

Lui. — Bah ! monsieur, on compterait plutôt les grains de poussière que mon marteau fait jaillir tout un jour d’été de la pierre et que le vent me souffle aux yeux. Tantôt je le vois comme un ciel sans fin semé d’yeux de toutes parts, qui enveloppe les mondes, et qui s’élargit à proportion qu’on y en jette davantage, paraît toujours vide, quoique toujours plein ! Tantôt je le vois comme une mer qui n’a point de rivages, d’où il sort sans fin des îles, des terres. Tantôt je le vois comme un géant qu’on charge à jamais de montagnes, de mers, de soleils, de mondes amoncelés les uns sur les autres, et qui n’en sent pas même le poids. Tantôt je le vois comme un cadran marqué en chiffres de soleils sur le ciel, et dont l’aiguille sans fin s’allonge, s’allonge, s’allonge toujours en vain vers les bords de ce cadran sans les atteindre jamais. Tantôt je le vois comme un œil infini, comme vous dites, ouvert plus large que le ciel sur ses œuvres, qu’il regarde en s’élargissant pour les embrasser à mesure qu’il les crée ! Tantôt, comme une main démesurée qui nous porte tous et qui nous rapproche de son regard pour nous éclairer, de son souffle pour nous réchauffer ! Tantôt comme un cœur qui bat dans toutes ses œuvres, depuis la plus grande jusqu’à la plus petite ! Enfin, que vous dirai-je, monsieur ? Quand je vous raconterais de ces bêtises de l’ignorance d’un pauvre homme jusqu’à la fin de nos deux souffles, ce seraient toujours, ce ne seraient jamais que des bêtises, des ombres de l’aile d’un oiseau sur le soleil, des feux de ver luisant contre la nuit ! Ça ne dit pas plus que rien, je le sens tout comme vous. Aussi, je ne m’y arrête qu’une minute. Il n’y a qu’une chose qui me contente un peu, et elle est si bête, que je n’ose pas même vous la dire.

Moi. — Dites toujours, mon pauvre Claude ! nous n’avons pas plus d’esprit les uns que les autres devant l’impossible à concevoir et devant l’impossible à exprimer.