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DE SAINT-POINT.

Je ne voulus pas faire violence à son mystère dès le premier jour ; je n’eus pas l’air d’avoir remarqué son interruption et surpris son soupir.)

Moi. — Et de quoi vous parle plus ordinairement ce murmure intérieur qui vous entretient ainsi quand vous êtes seul ?

Lui. — Nous nous parlons de tout ce je que vois sur terre, monsieur, et là-haut, ajouta-t-il en montrant du geste le champ des étoiles sur nos têtes, nous nous parlons surtout de lui.

Moi. — Qui, lui ?

Lui. — Le bon Dieu, monsieur.

Moi. — Mais si vous n’avez jamais été à l’école ni au catéchisme, qu’on n’enseignait pas dans votre enfance, ni rien lu dans les livres où l’on parle de Dieu, comment savez-vous qu’il existe seulement un Dieu ?

Lui. — Ah ! monsieur, d’abord notre mère nous l’a bien dit, et puis après, quand j’ai été grand, j’ai bien connu de bonnes âmes qui m’ont conduit dans les églises où l’on se rassemble pour l’adorer et le servir en commun, et pour écouter les paroles qu’il a chargé ses saints de révéler aux hommes en son nom. Mais, quand même ma mère ne m’aurait rien dit de lui, et quand même je n’aurais jamais entendu les catéchismes enseignés dans les paroisses en faisant mon tour de France, est-ce qu’il n’y a pas un catéchisme dans tout ce qui nous entoure, qui enseigne aux yeux et à l’âme des plus ignorants ? Est-ce que son nom a besoin des lettres de l’alphabet pour être lu ? Est-ce que son idée ne rentre pas dans nos yeux avec le premier rayon de lumière, dans notre esprit avec notre première réflexion, dans notre cœur avec notre premier battement ? Je ne sais pas comment sont faits les autres hommes, monsieur ; mais quant à moi, je ne pourrais voir, je ne dis pas une étoile, mais seulement une fourmi, une feuille d’arbre, un grain de sable, sans lui dire : « Qui est-ce qui t’a fait ? »