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LE TAILLEUR DE PIERRE

du chien, des chèvres et de l’homme, sans s’effrayer même de mes pas. On voyait que Claude avait appris à son chien à les regarder comme du troupeau. Sept ou huit pruniers et deux cerisiers, aux troncs maigres et courbés par les vents, croissaient à quelques pas de là, à l’abri d’une rangée de blocs de granit plus hauts que le reste de l’enceinte. Leurs fleurs tardives, qui commençaient cependant à tomber, pleuvaient par flocons à chaque ébranlement insensible de l’air. Ils faisaient flotter une ombre légère entremêlée de clarté sur le gazon.

La nature sait combien les dernières cimes des montagnes sont froides et battues des vents. Elle n’y fait croître que des arbustes à maigre feuillage, dont l’ombre légère et mobile n’est qu’un éventail étroit et transparent sur la face de la terre. Cette ombre des pruniers et des cerisiers en fleur n’atteignait pas les pieds du tailleur de pierre endormi. Contre les blocs, derrière ces arbres, on voyait sept ruches avec un petit toit pointu de paille, portées sur autant de pierres qui leur servaient de piédestal pour les préserver de l’humidité pendant les pluies. Ces ruches, pleines d’essaims, bruissaient sourdement comme une flamme dans le bois vert ; les abeilles, réchauffées par le soleil, sortaient et rentraient en foule, volant autour de l’homme et se posant même sur son bras et sur son front sans le piquer : car elles connaissent, comme les animaux domestiques, la main qui les nourrit. Une énorme fourmilière s’élevait tout auprès de la tête du paysan. Son bâton n’avait pas voulu la démolir, pour ne pas détruire une ville laborieusement bâtie par ces petits architectes du bon Dieu, comme il me le dit après. Des légions de petits lézards apprivoisés montraient leurs jolies têtes éveillées entre les fentes des pierres, ou se poursuivaient dans l’herbe rare, sans craindre de passer sur les pieds, sur les mains et jusque sur les cheveux noirs de l’homme et sur les pattes du chien. On eût dit qu’un esprit de douceur et