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DE SAINT-POINT.

tier tournant qu’il a fallu tracer à la pioche sur les flancs du mamelon, dans le sable jaune, pour que les ânes et les chars des hameaux voisins le gravissent sans peine avec leurs sacs ; la poussière du blé vanné qui sort de la fenêtre ; la fumée bleue qui rampe du toit entre les cimes des peupliers ; les chèvres qui broutent, les pieds dressés contre le mur au nord, aussi vert de végétation saxillaire qu’un pré ; les volées de colombes qui s’abattent sur la cour et qui disputent le grain aux coqs et aux poules ; l’âne qui monte ou qui descend par l’escalier de roche ; la meunière qui coud à sa fenêtre, la tête noyée dans un rayon de soleil couchant répercuté par les vitres en feu de sa chambre haute ; les enfants qui grimpent en riant vers elle par l’échelle verdoyante du lierre, dont les réseaux encadrent cette ouverture au-dessus des eaux ; toute cette architecture née du hasard ou de la profession, eau, murs, arbres, roches, aire, sentier, cascade, galeries suspendues, tour culminante, lignes harmonieuses, ombres et lumières distribuées comme par la combinaison la plus étudiée, se groupant à la seule indication de la vie rurale, et se détachant, aux diverses heures du jour, en couleurs diverses du fond sombre ou éclairé de la montagne qui leur sert de toile : toute cette fabrique, dis-je, défierait l’imagination d’un poëte ou d’un peintre de l’égaler en grâce et en rusticité. Elle prend l’imagination par les yeux, elle prend l’âme par la sérénité. C’est une pensée de Théocrite bâtie en roches au milieu des prés ; c’est un vers de Virgile murmurant en soupirs au bord des eaux courantes. C’est une toile de Claude Lorrain inondée de paix et palpitante de vie. C’est l’art suprême de cet architecte qui ne connaît pas l’art, cet effort du beau : c’est le moulin de Saint-Point. Je vois d’ici le rejaillissement du soleil levant sur ses tuiles ; j’entends d’ici le bruit cadencé de son blutoir, ce cœur de la maison, ce pouls du moulin !

Après ce moulin, la vallée devient un bassin d’environ