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RAPHAËL

rappela une hirondelle qui était tombée un jour morte à nos pieds du haut de la tour démantelée du vieux château, au bord du lac, et qui nous avait attristés comme un présage. L’oiseau mort passa lentement devant nous, et la nappe, sans faire un pli, le roula et l’engouffra peu à peu sous la nuit profonde de l’arche du pont. Quand le corps de l’oiseau eut disparu, nous vîmes une autre hirondelle passer et repasser cent fois sous l’arche en jetant de petits cris de détresse et en froissant ses ailes contre la charpente du cintre. Nous nous regardâmes involontairement. Je ne sais ce que dirent nos deux regards en se rencontrant, mais ce désespoir d’un pauvre oiseau trouva nos paupières si pleines et nos cœurs si prêts à se rompre, que nous détournâmes tous deux au même instant nos visages et que nous éclatâmes en sanglots. Une larme en entraînait une autre, une pensée une autre pensée, un présage un autre présage, un sanglot un autre sanglot. Nous essayâmes quelquefois de nous parler, mais l’accent brisé de la voix de l’un brisait davantage la voix de l’autre ; nous finîmes par céder à la nature et par verser en silence, pendant les heures que l’ombre seule mesurait, tout ce qu’il y avait de larmes dans nos sources intérieures. L’herbe s’en imbiba, le vent les essuya, la terre les but, les rayons du soleil les enlevèrent. Il ne restait plus une goutte d’angoisse dans nos deux âmes, quand nous nous relevâmes l’un devant l’autre, presque sans nous voir, à travers le nuage de nos yeux.

Ce furent nos adieux : une image funèbre, un océan de larmes, un éternel silence. Nous nous séparâmes ainsi, sans nous regarder davantage, de peur de tomber à la renverse sous le contre-coup de ce regard. Ce jardin délaissé de notre amour et de notre adieu ne reverra jamais la trace de mes pas.