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RAPHAËL

quitterais Paris aussitôt que mes forces me permettraient de voyager. Le 18 mai fut le jour fixé pour mon départ.

Une fois la séparation si rapprochée résolue, nous comptâmes les minutes pour des heures et les heures pour des jours. Nous aurions voulu accumuler et concentrer les années dans une seconde pour disputer et enlever d’avance au temps le bonheur dont nous allions nous sevrer pendant l’absence. Ces jours furent de délices, mais aussi d’angoisse et d’agonie. Nous sentions dans chaque entrevue, dans chaque regard, dans chaque mot, dans chaque serrement de main, le froid du lendemain qui approchait. De tels bonheurs ne sont plus des bonheurs, ce sont des tortures du cœur et les supplices de l’amour.

Nous consacrâmes à nos adieux toute la journée qui précéda le jour de mon départ. Nous voulions nous faire cet adieu, non dans l’ombre des murs qui étouffent l’âme, et sous l’œil des importuns, qui refoule le cœur, mais sous le ciel, dans le grand air, dans la lumière, dans la solitude et dans le silence. La nature s’associe à toutes les sensations de l’homme. Elle les comprend, elle semble les partager comme un confident invisible. Elle y compatit pour les recueillir et pour les diviniser !

CXXIX

Le matin de ce jour, une voiture que j’avais louée jusqu’au soir nous emportait. Les glaces étaient baissées, les rideaux fermés. Nous traversions les rues presque désertes des quartiers élevés de Paris qui aboutissent au parc enceint de hautes murailles de Monceaux. Ce jardin, alors exclusivement réservé aux promenades des princes qui le possédaient, ne s’ouvrait que sur la présentation