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RAPHAËL

gardés, dans les taillis. Nous marchions en silence, tantôt l’un précédant l’autre, tantôt sa main passée sous mon bras. Nous parlions de l’avenir, du bonheur de posséder à soi seul un de ces milliers d’arpents inhabités, avec une petite maison de garde, sous un de ces vieux chênes. Nous rêvions tout haut. Nous cueillions des violettes ou des pervenches. Nous en faisions des hiéroglyphes échangés entre nous. Conservées dans des feuilles lisses d’ellébore, nous attachions à ces lettres de fleur tel sens, tel souvenir, tel regard, tel soupir, telle prière. Nous nous réservions de les relire, quand nous serions séparés. Elles devaient nous rappeler à jamais ce que nous voulions ne jamais perdre de nos délicieux entretiens,

Nous nous asseyions à l’ombre, au bord de l’allée. Nous ouvrions un livre, nous essayions de lire ; nous ne pouvions jamais aller au bout de la page. Nous aimions mieux lire en nous-mêmes les pages inépuisables de nos propres impressions. J’allais chercher du lait et du pain bis dans quelque ferme voisine. Nous mangions sur l’herbe en jetant le reste de la coupe aux fourmis, les miettes du pain aux petits oiseaux. Nous rentrions, au coucher du soleil, dans l’océan tumultueux de Paris ; le bruit et la foule nous serraient le cœur. Je remettais Julie, ivre du jour, à sa porte. Je rentrais épuisé de bonheur dans ma chambre vide ; j’en frappais les murs pour qu’en s’écroulant ils me rendissent la lumière, la nature et l’amour dont ils me privaient. Je dînais sans goût. Je lisais sans comprendre. J’allumais ma lampe ; j’attendais, en comptant les heures, que la soirée fût assez avancée pour oser retourner à sa porte et redemander à la nuit les entretiens de la matinée.