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ACTE I, SCÈNE II

ADRIENNE.

L’ordre de son départ tomba comme la foudre.
C’était aux premiers temps où de la liberté
Le triomphe indécis n’était pas remporté ;
Où les restes des blancs, refoulés dans nos villes,
Achevaient de s’user dans les guerres civiles.
Toussaint, quoique vainqueur, modeste en ses succès,
Se proclamait encor le sujet des Français.
Des destins d’Haïti pour demeurer l’arbitre,
Et du commandement pour conserver le titre,
Il fallait, s’entourant d’artifices adroits,
Les chasser de nos ports en respectant leurs droits,
Afin que leur exil, paré de déférence,
D’un départ volontaire eût encor l’apparence.
Le temps fatal pressait Toussaint irrésolu,
Quelques noirs hésitaient ; un traité fut conclu.
Toussaint, faisant céder le père au politique,
Jura fidélité fausse à la république,
Et pour mieux la tromper, de ses bras triomphants,
En otage aux vaincus il remit ses enfants.
« Que la France, dit-il, à présent soit leur mère,
Et si je la trahis qu’ils détestent leur père ! »
La liberté reçut cet holocauste affreux ;
En immolant ses fils, il s’immolait pour eux.
L’escadre dans la nuit s’évanouit sur l’onde ;
Mon cœur depuis ce jour vit en un autre monde…

LUCIE.

Eh quoi ! de temps en temps nul récit ne vient-il
T’entretenir au moins de leur sort dans l’exil ?
Quelque tendre mémoire aux vagues confiée
N’aborde-t-elle pas ?

ADRIENNE.

N’aborde-t-elle pas ? Non ; je suis oubliée !