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RAPHAËL

vérité et de l’éternel sentiment. Chatham prend la vérité dans la main de Dieu, et il n’en fait pas seulement la lumière, il en fait la foudre de la discussion. Malheureusement il ne reste de lui, comme de Phidias au Parthénon, que des débris, des têtes, des bras, des torses mutilés. Mais en recomposant par la pensée ces débris, on en fait des prodiges et des divinités d’éloquence. Je me figurais des temps, des circonstances, des passions, des ambitions, des forums pareils à ceux qui avaient soulevé ces grands hommes, et, comme Démosthène aux flots de la mer, je parlais intérieurement aux fantômes de mon imagination.

XCIV

Je lus pour la première fois, à, cette époque, les discours de Fox et de Pitt. Je trouvai Fox déclamateur, quoique prosaïque ; un de ces génies chicaneurs nés pour contredire et non pour dire, avocats sans toge qui n’ont de conscience que dans la voix, et qui plaident avant tout pour leur popularité.

Je sentis dans Pitt l’homme d’État dont les paroles sont des actes, et qui, dans l’écroulement de l’Europe, soutint presque seul son pays sur la base de son bon sens et sur la constance de son caractère. Pitt c’était Mirabeau, avec l’intégrité de plus et l’élan de moins. Mirabeau et Pitt devinrent et sont restés depuis mes deux hommes d’État modernes de prédilection. Montesquieu me parut, à côté d’eux, un dissertateur érudit, ingénieux et systématique ; Fénelon divin, mais chimérique ; Rousseau plus passionné qu’inspiré, grand instinct plus que grande vérité ; Bossuet langue d’or, âme adulatrice, rassemblant en lui,