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RAPHAËL

besoin de cette glace que l’accent d’un sage jette sur l’incendie du cœur pour retremper le ressort d’une énergique résolution.

LXXXVI

Julie me présenta à M. de Bonald, comme le poëte dont il avait lu les vers. Il s’étonna de ma jeunesse. Il m’accueillit avec indulgence. Il s’entretint avec Julie, dans cet abandon paternel d’un homme illustre par le génie et imposant par l’âge, qui cherche auprès d’une jeune femme un rayon distrait de beauté pour ses yeux, et les heures causeuses et calmes de la fin du jour. Sa voix était profonde comme une voix qui vient de l’âme. Sa conversation s’épanchait avec cette nonchalance gracieuse et grave d’un esprit qui se détend pour se reposer. L’accent de l’honnête homme était dans sa parole comme le caractère en était répandu sur son front. La conversation se prolongeant et la pendule près de marquer minuit, je crus devoir sortir le premier, pour enlever toute ombre de soupçon d’une familiarité trop intime à cet ami plus respectable et plus ancien que moi dans la maison.

Je n’emportais qu’un regard et un silence pour prix d’une si brûlante attente et d’un si dur voyage. Mais j’emportais une image et la certitude de la revoir désormais tous les jours, c’était assez, c’était trop.

J’errai longtemps sur les quais de Paris, ouvrant mon manteau à l’air et mes lèvres au vent pour rafraîchir ma poitrine et pour apaiser la fièvre de bonheur qui m’agitait. Quand je rentrai, V*** dormait depuis plusieurs heures. Je ne pus m’endormir qu’aux premières clartés du matin et aux cris des revendeurs dans les rues de Paris.

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