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RAPHAËL

cœur avec sa figure dans mes yeux. Elle essaya de balbutier quelques mots en m’apercevant. Elle ne le put pas. L’émotion lui fit trembler les lèvres. Je tombai à ses pieds. Je collai ma bouche sur le tapis que foulaient ses pas. Je relevai mon front pour la regarder encore et pour m’assurer que sa présence n’était point un rêve. Elle posa une de ses mains sur mes cheveux qui frissonnèrent ; elle se soutenait de l’autre à l’angle du marbre, et elle tomba également sur ses genoux devant moi.

Nous nous regardions. Nous ne cherchions pas de paroles, car il n’y en avait plus pour l’excès de notre bonheur. Nous restâmes en silence prosternés l’un devant l’autre. Cette attitude, pleine d’adoration en moi, pleine de bonheur contenu en elle, disait assez : « Ils s’adorent ; mais il y a un fantôme entre eux, ou un devoir. »

LXXXV

Un coup de marteau se fit entendre à la porte. Des pas montèrent l’escalier. Je me relevai. Elle reprit en chancelant sa place sur le canapé. Je m’assis de l’autre côté, dans l’ombre, pour couvrir la rougeur de mes joues et la rosée de mes larmes.

Un homme d’un âge déjà avancé, d’une stature imposante, d’un visage noble, serein et doux, entra dans la chambre à pas lents. Il s’approcha, sans parler, du canapé. Il baisa paternellement la main tremblante de Julie. C’était M. de Bonald. Malgré le déchirement d’extase que l’arrivée d’un inconnu venait de me faire sentir par ce coup de marteau, je bénis intérieurement cet étranger d’être venu interrompre un premier regard où la raison pouvait succomber sous l’ivresse. C’était un de ces moments où l’âme a