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RAPHAËL

pavés du chemin. La nuit était sombre, il pleuvait à verse. Je pris mon porte manteau sur mon épaule, et je vins frapper à la porte du modeste logement du comte de V***.

Il m’attendait. Il m’embrassa ; il me parla d’elle. Je ne pouvais me lasser de l’interroger et de l’entendre. Ce soir même je reverrais Julie !… V*** irait lui annoncer mon arrivée et la préparer à sa joie. Quand tout le monde serait sorti du salon de Julie, V*** sortirait le dernier, il viendrait m’avertir dans un café voisin, où je l’attendrais, du moment où elle serait seule, et j’irais m’élancer à ses pieds.

Ce ne fut qu’après qu’il m’eut donné tous ces renseignements que je songeai à sécher mes habits à son foyer, à prendre un peu de nourriture, à m’installer dans la sombre alcôve de son antichambre. Cette antichambre était éclairée par un œil-de-bœuf et chauffée par un poële. Je m’habillai avec une propreté décente qui ne fît pas rougir de moi celle qui m’aimait, devant ses amis.

À onze heures nous sortîmes, V*** et moi, à pied. Nous allâmes ensemble jusque sous la fenêtre que je connaissais déjà. Il y avait trois voitures à la porte. V*** monta. J’allai l’attendre à l’endroit convenu. Qu’elle fut longue l’heure pendant laquelle je l’attendis ! Combien je maudissais ces visiteurs indifférents dont l’importunité involontaire, pour dépenser des heures oisives, suspendait sans le savoir l’élan de deux cœurs qui comptaient leur martyre par leurs palpitations ! Enfin V*** parut. Je m’élançai sur sa trace. Il me quitta à la porte et je montai.

LXXXIII

Je vivrais mille fois mille ans, que je n’oublierais jamais ce moment et cette scène.