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RAPHAËL

comprendre à présent comment j’eus assez d’empire sur moi-même pour résister, pendant un voyage de cent vingt lieues, à l’élan intérieur qui me précipitait sans relâche vers cette voiture après laquelle je courais sans vouloir l’atteindre, et dans laquelle toute mon âme était renfermée, pendant que mon corps seul, insensible à la neige et à la pluie glacée, suivait, ballotté de cahots en cahots et de frimas en frimas, sans avoir la conscience de ses propres souffrances. Mais la crainte de causer à Julie une émotion inattendue qui lui fût fatale, de renouveler une scène d’adieux déchirants, l’idée de veiller ainsi comme une providence amoureuse, avec un désintéressement angélique, sur sa sûreté, me clouaient à ma résolution.

LXV

La première fois, elle descendit dans le grand hôtel d’Autun ; moi, dans une auberge du faubourg, à côté.

Avant le jour, les deux voitures, en vue l’une de l’autre, couraient de nouveau sur la longue ligne onduleuse et blanche que trace la route, à travers les steppes au sol gris et les forêts de chênes druidiques de la haute Bourgogne. Nous nous arrêtâmes dans la petite ville d’Avallon ; elle au centre, moi à l’extrémité de la ville. Le lendemain, nous roulions vers Sens.

La neige accumulée par les vents du nord autour des hauts et arides plateaux de Lucy-le-Bois et de Vermanton tombait à larges flocons à moitié liquides sur les montagnes et sur la route, et assoupissait le bruit des roues. On distinguait à peine l’horizon brumeux, à quelques pas devant soi, à travers cette poudre de neige que le vent soulevait en tourbillons. On ne pouvait plus mesurer ni par