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RAPHAËL

LX

Nous montions, en discourant de cet amour, le sentier rocailleux au fond du ravin qui mène aux Charmettes. Nous étions seuls. Les chevriers mêmes avaient quitté les pelouses sèches et les haies sans feuilles. Le soleil brillait à travers quelques nuages rapides. Ses rayons plus concentrés étaient plus chauds dans les flancs abrités du ravin. Les rouges-gorges sautillaient presque sous nos mains dans les buissons. Nous nous arrêtions de temps en temps et nous nous asseyions sur la douve du sentier au midi, pour lire une page ou deux des Confessions et pour nous identifier avec le site.

Nous revoyions le jeune vagabond presque en haillons frappant à la porte d’Annecy et remettant en rougissant sa lettre de recommandation à la belle recluse, dans le sentier désert qui conduisait de sa maison à l’église. Le jeune homme et la jeune femme nous étaient si présents qu’il nous semblait qu’ils nous attendaient et que nous allions les voir à la fenêtre ou dans les allées du jardin aux Charmettes. Nous nous remettions ensuite en chemin pour nous arrêter encore. Ce lieu nous attirait et nous repoussait à la fois comme un lieu où l’amour avait été révélé, et comme un lieu où il avait été profané aussi. Il n’avait pas ce danger pour nous. Nous devions le rapporter aussi pur que nous le portions dans nos deux âmes.

« Oh ! me disais-je intérieurement, si j’étais Rousseau, que n’eût pas fait de moi cette autre madame de Warens autant supérieure à celle des Charmettes que je suis moi-même inférieur, non en sensibilité, mais en génie, à Rousseau ? »