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RAPHAËL

aujourd’hui, s’agrandira avec le temps. Les faibles attraits qui t’ont séduit dans mon visage se flétriront de bonne heure. Il ne restera dans tes yeux que le souvenir et l’étonnement de ton enthousiasme évanoui. D’ailleurs je ne puis être qu’une âme pour toi… tu sentiras le besoin d’un autre bonheur… je mourrai de jalousie si tu le trouves avec une autre femme… je mourrai de douleur si je te vois malheureux à cause de moi Oh ! mourons, mourons ! et étouffons cet avenir douteux ou sinistre dans ce dernier soupir qui n’aura du moins sur nos lèvres que la saveur sans mélange de la complète réunion !… »

Mon âme me disait au même moment et avec la même force ce que sa bouche me disait à l’oreille, ce que son visage me disait aux yeux, ce que la nature solennelle, muette, funèbre dans la splendeur de son heure suprême, me disait à tous les sens. En sorte que les deux voix que j’entendais, l’une au dehors, l’autre au dedans, me répétaient les mêmes paroles, comme si un de ces langages n’eût été que l’écho ou la traduction de l’autre.

J’oubliais l’univers, et, dans un moment de délire, je lui répondis : « Mourons ! »

Je la soulevais déjà dans mes bras, quand je sentis sa tête pâle se renverser, comme le poids d’une chose morte, sur mon épaule, et son corps s’affaisser sur ses genoux. L’excès des émotions avait devancé la mort même. Elle s’était évanouie dans mes bras. L’idée d’abuser de son évanouissement pour l’entraîner, à son insu, et peut-être malgré elle, dans mon propre tombeau, me saisit avec une soudaine horreur. Je fléchis sous le fardeau au fond de la barque. Je l’étendis sur le banc. Je secouai longtemps, de mes mains trempées dans le lac, des gouttes d’eau froide sur son front et sur ses lèvres. Je ne sais combien de temps elle resta ainsi sans sentiment, sans couleur et sans voix. Quand je m’aperçus qu’elle rouvrait les yeux et qu’elle re-