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RAPHAËL

d’un accent de résolution sereine et calme : « Oh ! mourons !… »

Après ce seul mot elle resta un moment en silence, puis elle reprit : « Oh ! oui, mourons, car la terre n’a rien de plus à nous donner, le ciel rien de plus à nous promettre ! »

Elle regarda longtemps autour d’elle le firmament, les montagnes, le lac, les vagues transparentes et demi-lumineuses sous l’ombre du bateau.

« Vois-tu, me dit-elle (c’était la première fois qu’elle se servait, en me parlant, de cette forme de langage, solennelle ou familière selon qu’on l’adresse à Dieu ou à l’homme), vois-tu comme tout est préparé autour de nous pour un évanouissement de nos deux vies ! Voila ce soleil de la plus belle de nos années qui se couche pour ne plus se lever peut-être demain ; voila ces montagnes qui se mirent pour la dernière fois dans le lac ; elles étendent leurs longues ombres jusqu’à nous comme pour nous dire : « Ensevelissez-vous dans ce linceul que je vous tends ; » voilà des vagues pures, limpides, profondes, muettes, qui nous préparent une couche de sable où nul ne viendra nous réveiller pour nous crier : « Partons ! » Aucun œil humain ne nous voit. Nul ne saura par quel mystère la barque vide ira demain échouer sur quelque rocher de la côte. Pas une ride de ces flots ne trahira aux curieux ou aux indifférents la place où deux corps auront glissé en s’embrassant sous les ondes, d’où deux âmes auront remonté réunies dans l’éternel éther. Aucun bruit ne restera de nous sur la terre que le bruit du pli de la vague qui se refermera sur nous !… Oh ! mourons dans cette ivresse de l’âme et de la nature, qui ne nous laissera sentir de la mort que sa volupté ! Plus tard, nous voudrons mourir, et nous mourrons peut-être moins heureux  ! J’ai quelques années de plus que ton âge ; cette différence, insensible