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RAPHAËL

concentre dans une heure qu’on voudrait rendre éternelle et qu’on sent échapper minute à minute, en écoutant le balancier de la pendule qui bat la seconde, en regardant l’aiguille qui dévore l’heure sur le cadran, en sentant la roue de la voiture dont chaque tour abrége l’espace, ou en écoutant le bruit d’une proue qui laisse le flot en arrière et qui vous approche du bord où il faudra descendre du ciel de vos rêves sur la grève dure et froide de la réalité !

LII

Une après-dînée, que nous étions ainsi délicieusement bercés dans le bateau, au soleil, dans une anse calme et tiède, entre deux bras du mont du Chat, au bruit lointain d’une petite cascade qui forme comme un chant perpétuel sous les grottes où elle filtre avant de se perdre dans l’abîme des eaux, nos bateliers voulurent descendre et terre pour relever des filets qu’ils avaient placés la veille. Nous restâmes seuls dans le bateau mal amarré par une cordelle à une branche de figuier ; le roulis fit plier et casser la branche en nous entraînant, sans que nous nous en fussions aperçus ; nous dérivâmes au milieu de l’anse, à trois cents pas des rochers perpendiculaires entre lesquels elle est encadrée. Les eaux du lac avaient, dans cet endroit, cette couleur bronzée, ce miroitement de métal fondu, cette immobilité lourde que leur donnent toujours l’ombre répercutée des hautes falaises, le voisinage des rochers taillés à pic, et qui annoncent la profondeur des vagues dans un lit que l’on n’ose sonder. Je pouvais reprendre la rame et nous rapprocher du bord ; mais cet isolement de toute nature vivante nous donnait un délicieux frisson.