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RAPHAËL

autres, et maintenant recueillies et unies sous le même toit, au coin du même foyer, aux murmures des mêmes tempêtes d’automne, dans une maisonnette des montagnes de Savoie ; nous cherchions à prévoir par quel jeu de la Providence ou du hasard ces mêmes vents de la vie nous disperseraient ou nous réuniraient de nouveau. Ces échappées sur l’horizon de nos vies futures avaient fini par nous attrister. Nous restions muets devant la petite table à thé sur laquelle nous étions accoudés. À la fin, Louis, qui était poëte, se sentit sourdre une note de mélancolie dans l’âme et voulut l’écrire. Elle lui prêta un crayon et du papier. Il crayonna sur le marbre de la cheminée quelques strophes toutes plaintives et toutes trempées de larmes comme les strophes funèbres de Gilbert. Louis ressemblait par la nature à Gilbert, l’auteur de ces strophes qui vivront autant que le gémissement de Job dans la langue des hommes :

Au banquet de la vie, infortuné convive,
*****J’apparus un jour, et je meurs ;
Je meurs, et sur ma tombe, où lentement j’arrive,
*****Nul ne viendra verser des pleurs ! etc.

Les vers de Louis me remuèrent. Je pris le crayon de ses mains. Je m’éloignai un moment dans le fond de la chambre, et j’écrivis à mon tour ces vers qui mourront avec moi sans avoir été recueillis ; premiers vers qui fussent sortis de mon cœur et non de mon imagination. Je les lus sans oser lever les yeux sur celle à laquelle ils étaient adressés. Les voici… mais non, je les efface ; tout mon génie était dans mon amour, il s’est évanoui avec lui.

En finissant la lecture de ces vers, je vis sur le visage de Julie, éclairé d’un reflet de la lampe, une expression d’étonnement si tendre et de beauté si surhumaine, que je restai aussi incertain que mes vers le disaient entre l’ange et la