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RAPHAËL

pendant les longues ténèbres des soirs et des nuits de novembre, au tintement de quelques premières rafales de givre ou de neige sur les vitres et aux gémissements du vent d’automne ; ce vent pluvieux, semblait nous refouler en nous-mêmes et nous crier : « Hâtez-vous de vous dire tout ce que vous avez renfermé jusqu’à présent dans vos cœurs, car je suis la voix des mauvais jours qui approchent et qui vont vous séparer. »

XLIII

Nous visitâmes ensemble plus de sites sublimes ou gracieux, plus de solitudes, plus de maisonnettes suspendues entre les abîmes et les nuages aux corniches saillantes des montagnes, plus de vergers, plus d’eaux laiteuses écumant sur les prés en pente, plus de forêts de sapins et de châtaigniers ouvrant leurs sombres colonnades aux regards et répercutant le bruit de nos voix sous leurs dômes, qu’il n’en faudrait pour cacher un monde d’amants. Nous laissions à chacun de ces sites un de nos soupirs, un de nos enthousiasmes, une de nos bénédictions. Nous les priions tout bas ou tout haut de conserver le souvenir de l’heure que nous y avions passée ensemble, des pensées qu’ils nous avaient données, de l’air qu’ils nous avaient fait respirer, de la goutte d’eau que nous y avions bue dans le creux de nos mains, de la feuille ou de la fleur que nous y avions cueillie, de la trace que nos pas y avaient imprimée sur l’herbe humide ; nous leur demandions de nous rendre tout cela un jour avec la parcelle d’existence que nous y laissions, pour ne rien perdre de la félicité qui débordait de nos cœurs, et pour retrouver toutes ces minutes, toutes ces extases, toutes ces émanations de nous-mêmes dans ce dé-