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RAPHAËL

est pleine d’embûches et d’amertume. Les asiles acceptés chez des amies sont précaires et humiliants pour la dignité. L’extrême beauté dont la nature vous a douée est un éclat qui trahit l’obscurité et qui attire le vice comme l’éclat de l’or attire le larcin. Où comptez-vous vous abriter contre ces tristesses ou contre ces dangers de la vie ? — Je n’en sais rien, lui dis-je, et je ne vois depuis quelque temps que Dieu ou la mort qui puisse me sauver de ma destinée. — Oh ! reprit-il avec un sourire triste et indécis, il y aurait un autre salut auquel j’ai pensé, mais que j’ose à peine vous proposer. — Dites, monsieur, lui répondis-je ; vous avez eu depuis si longtemps pour moi le regard et l’accent d’un père, que je croirai obéir au mien en vous obéissant. — Un père, reprit-il : oh ! heureux mille fois celui qui aurait une fille telle que vous ! Pardonnez-moi si j’ai osé quelquefois concevoir un pareil rêve. Écoutez-moi, me dit-il alors d’une voix plus grave et plus tendre, et répondez-moi dans toute la liberté et dans toute la réflexion de votre esprit. Je touche à mes dernières années ; la tombe ne peut pas tarder beaucoup à s’ouvrir pour moi ; je n’ai point de parents à qui laisser mon seul héritage, la modeste illustration de mon nom et le peu de fortune que mes travaux m’ont permis d’acquérir. J’ai vécu seul jusqu’ici, uniquement absorbé par ces études qui ont usé et illustré mon existence. J’arrive à la fin de la vie et je n’aperçois douloureusement que je n’ai pas commencé à vivre, puisque je n’ai pas pensé à aimer. Il est trop tard pour revenir sur mes pas et reprendre la route du bonheur, au lieu de la route de la gloire que j’ai malheureusement choisie ; et cependant je ne voudrais pas mourir sans chercher à revivre dans une mémoire après moi par un sentiment, seule immortalité à laquelle je croie. Ce sentiment ne peut être qu’un peu de reconnaissance. C’est de vous que