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RAPHAËL

révéler ; craignant également de dire trop ou trop peu, nous retenions notre âme sur nos lèvres.

Nous continuâmes à rester muets, et ce silence augmentait notre rougeur. À la fin, nos regards baissés s’étant relevés levés au même moment et rencontrés dans le foyer l’un de l’autre, je vis dans ses yeux tant de sensibilité, elle vit sans doute tant d’innocence et tant de profondeur dans les miens, que nous ne pûmes plus les détacher, moi de son visage, elle de ma figure ; et que des larmes y montant à la fois de nos deux cœurs, nous y portâmes instinctivement nos mains comme pour voiler nos pensées.

Je ne sais combien de minutes nous demeurâmes ainsi. Enfin, d’une voix tremblante, mais avec un peu de contrainte et d’impatience dans l’accent : « Vous m’avez donné de vos larmes, je vous ai appelé mon frère, vous m’avez adoptée pour sœur, dit-elle, et nous n’osons pas nous parler ?… Une larme ! reprit-elle, une larme désintéressée d’un cœur inconnu, c’est plus que ma vie ne vaut et plus qu’elle ne m’a jamais encore donné ! »

Puis, avec une légère inflexion de reproche : «Vous suis-je donc redevenue étrangère depuis que je n’ai plus besoin de vos soins ? Oh ! quant à moi ! poursuivit-elle d’un ton de résolution et de sécurité, je ne sais rien de vous que votre nom et votre visage, mais je sais votre âme. Un siècle ne m’en apprendrait pas plus !

» — Et moi, madame, lui dis-je en balbutiant, je voudrais ne savoir jamais rien de tout ce qui fait de vous un être vivant de notre vie, attaché par les mêmes liens que nous à ce triste monde ; je n’ai besoin de savoir qu’une chose : c’est que vous l’avez traversé, que vous m’avez permis de vous regarder de loin et de me souvenir toujours !

» — Oh ! ne vous trompez pas ainsi, reprit-elle ; ne voyez pas en moi une illusion divinisée de votre cœur ; je