Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 32.djvu/211

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
210
RAPHAËL

bec de cuivre contre le mur ; la lueur en tombait sur le drap et sur le visage endormi, comme celle du cierge sur un linceul. Hélas ! j’ai veillé ainsi depuis, sur d’autres visages, mais ils ne se sont plus réveillés !

XIX

Ainsi je la contemplai du regard et de l’âme pendant de longues heures, suspendu entre la mort et l’amour. Je ne savais, en étudiant l’angélique figure endormie sous mes yeux, si cette nuit me préparait une éternelle douleur ou une éternelle adoration. Les spasmes du sommeil, qui n’étaient pas assez forts pour la ranimer, avaient rejeté le drap et découvert une de ses épaules. Ses cheveux s’y roulaient en gros anneaux noirs et épais. Son cou, affaissé sur l’oreiller, était plié par le poids de sa tête, qui pendait en arrière, un peu inclinée sur la joue droite. Un de ses bras s’était dégagé des couvertures : il était passé sous son cou ; il laissait apercevoir seulement la nudité d’un coude d’ivoire qui se détachait de la couleur grise de la chemise de grosse toile dont les paysannes l’avaient vêtue. À un des doigts de la main noyés dans les cheveux, on voyait briller un petit anneau d’or qui enchâssait une étincelle de rubis où se réverbérait la lampe.

Les jeunes filles de la maison s’étaient couchées, sans se déshabiller, sur le plancher ; la mère s’était assoupie sur une chaise de bois, les mains et la tête appuyées sur le dossier. Quand le coq chanta dans la cour, les femmes sortirent, leurs sabots à la main ; elles descendirent sans bruit l’échelle pour aller au travail. Je restai seul.