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RAPHAËL

s’excusaient-ils sur la saison trop tardive ou sur les convives repartis trop tôt. Ils parlaient seulement avec un enthousiasme visible et avec un respect tendre et compatissant d’une jeune femme étrangère retenue aux bains par une langueur qu’on craignait de voir dégénérer en consomption lente. Elle occupait seule, avec une femme de chambre, depuis quelques mois, l’appartement le plus retiré de leur maison. Elle ne descendait jamais dans la salle commune. Elle prenait ses repas dans sa chambre. On ne l’apercevait jamais qu’à sa fenêtre sur le jardin, à travers les rideaux des vignes, ou bien sur l’escalier quand elle revenait de se promener sur un âne dans les montagnes.

J’avais compassion de cette jeune femme ainsi reléguée comme moi, seule dans un pays étranger, malade, puisqu’elle y cherchait la santé, triste sans doute, puisqu’elle y évitait le bruit et les regards même de la foule. Mais je ne désirais nullement la voir, quelque admiration qu’on témoignât autour de moi pour elle. Le cœur plein de cendre, lassé de misérables et précaires attachements dont aucun n’avait été recueilli avec une sérieuse piété dans mon souvenir, honteux et repentant de liaisons légères et désordonnées, l’âme ulcérée par mes fautes et desséchée par le dégoût de vulgaires enivrements, timide et réservé de caractère et d’attitude, n’ayant rien de cette confiance en soi-même qui porte certains hommes à tenter des rencontres et des familiarités aventureuses, je ne songeais ni à voir ni à être vu. Je songeais encore moins à aimer. Je jouissais au contraire avec un âpre et faux orgueil d’avoir étouffé pour jamais cette puérilité dans mon cœur, et de me suffire a moi seul pour souffrir ou pour sentir ici-bas. Quant au bonheur, je n’y croyais plus.