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DE L’ÉMANCIPATION

principe inappréciable de l’égalité des races et des hommes devant Dieu.

Le colon y gagne une propriété honnête, morale ; une propriété de droit commun, investie des mêmes garanties que les nôtres, au lieu de cette propriété funeste, incertaine, explosible, toujours menaçante, dont il ne peut jouir un moment avec sécurité ; propriété humaine qui déshonore, qui démoralise celui qui la possède autant que celui qui la subit. Le lendemain de l’acte d’émancipation vos capitaux coloniaux vaudront le double.

Enfin l’esclave, vous savez ce qu’il y gagne : le titre et les droits de créature de Dieu ; la liberté, la propriété, la famille ; son avènement enfin et l’avénement de ses enfants à l’humanité.

Eh bien, répartissez entre ces trois classes d’intérêts le poids de l’indemnité, faites payer proportionnellement à l’État, au colon et à l’esclave le prix des avantages qu’ils recouvrent, et l’humanité est restaurée.

Voilà jusqu’à quel point, messieurs, nous sommes des tribuns d’esclaves, des spoliateurs des colons, des incendiaires du pays ! Que le pays juge ! Il jugera, et la France, qui n’a jamais reculé, la France, qui n’a pas craint de remuer le monde et de verser son or et son sang par torrents pour la liberté politique, ne craindra pas de donner quelques millions pendant dix ans pour racheter une race d’hommes, et avec ces hommes sa propre satisfaction.

Vous, messieurs, que l’Angleterre envoie à ce pacifique congrès de l’émancipation des races, allez redire à l’Amérique et à l’Angleterre ce que vous avez vu, ce que vous avez entendu. La France est prête à accomplir sa part de l’œuvre de régénération dont elle a donné le signal au monde, et dont vous avez eu l’honneur de lui donner le plus noble exemple. Avant trois ans, il n’y aura plus un seul esclave dans les deux pays ; que dis-je ! il n’y en a plus déjà dans nos pensées : le principe est voté par acclamations sur toute terre où l’Évangile a écrit les droits de l’âme au-dessus des droits du citoyen. Nous ne délibérons plus que sur le mode et l’accomplissement.

Messieurs, c’est à l’union des deux peuples que nous devons ce jour de bénédiction dans les trois mondes ; resserrons cette alliance dans les liens de cette fraternité européenne dont vous êtes les missionnaires près de nous. Une politique mesquine et jalouse ; une politique qui voudrait rétrécir le monde pour que personne n’y eût de place que nous, une politique qui prend pour inspiration les vieilles antipathies qui rappellent l’Orient et l’Occident l’un vers l’autre ; cette politique, messieurs, s’efforce en vain de briser ou de relâcher, par des tiraillements pénibles, les relations qui unissent l’Angleterre et la France. L’Angleterre et la France resteront unies ; nous sommes à nous deux le piédestal des droits du genre humain. La liberté du monde a un pied sur le sol britannique,