Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 32.djvu/168

Cette page a été validée par deux contributeurs.
167
DES ESCLAVES.


III

banquet donné par la société française de l’émancipation de l’esclavage, aux délégués des sociétés anglaises et américaine, à paris. — 10 février 1840.

Messieurs,

M. Odilon Barrot vient de porter un toast aux hommes : permettez-moi, au nom de la société française, d’en porter un aux principes :

À l’abolition de l’esclavage sur tout l’univers ! Qu’aucune créature de Dieu ne soit plus la propriété d’une autre créature, mais n’appartienne qu’à la loi !

Messieurs, ce fut un grand jour dans les annales des assemblées politiques, un beau jour devant Dieu et devant les hommes, un jour qui effaça de la surface de la terre bien des taches d’infamie et de sang, que celui où le parlement anglais, qu’animait encore l’âme de Wilberforce et de Canning, jeta cinq cents millions à ses colons pour racheter trois cent mille esclaves, et avec eux la dignité du nom d’homme et la moralité dans les lois.

Nous admirions dans notre enfance le dévouement de ces apôtres, de ces missionnaires chrétiens qui allaient racheter un à un quelques captifs dans les régences barbaresques, avec les aumônes de quelques fidèles ; en bien, voilà que ce qui se faisait individuellement, exceptionnellement il y a un demi-siècle, se fait aujourd’hui en grand, par une nation tout entière, aux acclamations des deux mondes. La France, en 1789, n’avait fait que des citoyens ; l’Angleterre, en 1833, fait des hommes. L’égalité politique ne suffit plus à l’humanité ; il lui faut l’égalité sociale. Ce seul fait, messieurs, répond aux accusations contre notre temps. Non, il n’a pas reculé, le siècle témoin de pareilles entreprises ! L’acte d’émancipation de 1833 et les cinq cents millions votés pour le rachat des esclaves brilleront dans l’histoire de l’humanité, et attesteront au monde que les grandes inspirations de Dieu descendent aussi sur les corps politiques, et que la civilisation perfectionnée est une révélation qui a sa foi et une religion qui a ses miracles.

C’est la même pensée, messieurs, qui nous réunit dans cette enceinte, des trois parties du monde, pour nous entendre, nous éclairer, nous encourager dans l’œuvre que le siècle élabore et que nous voulons l’aider à accomplir. Mais, messieurs, ne nous le dissimulons pas : quand une idée fausse est devenue un intérêt, on ne l’exproprie pas sans lutte. Un vice social a toujours un sophisme à son service. Le sophisme se