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DES ESCLAVES.

naître la légitimité d’une loi qui le prive de ses droits et de ses facultés d’homme, et sa nature même, sa nature d’enfant de Dieu est une juste protestation, une éternelle insurrection de sa raison contre la loi qui le ravale à l’état de brute ; mais je dis que devant la loi dont nous sommes tous les complices, devant cette exécrable loi que nous voulons corriger, la propriété du colon est fondée sur des garanties égales aux garanties de vos champs et de vos maisons ; car il possède en vertu d’une loi mauvaise, mais d’une loi commune à tous. Vous devez donc punir la société de la mauvaise loi qu’elle a faite et non le colon de la mauvaise nature de sa propriété ; c’est-à-dire, vous devez compenser aux colons la spoliation sous peine de ne réparer une iniquité que par une autre iniquité !

Messieurs, je sais que c’est là le grand mot, le mot terrible, le mot qui fait murmurer, le mot qui repousse, dans l’indifférence et l’incurie, des hommes assez ignorants des lois sociales pour croire qu’une réparation qui coûte quelques millions ruine un pays ; des hommes qui pèsent de la morale contre de l’or. Eh bien, que ces hommes mêmes se tranquillisent. Cette compensation, sagement combinée, ne ruinera personne. Quand le moment en sera venu, je le démontrerai à la chambre. Je me bornerai à lui dire en deux mots aujourd’hui sur quel principe doit être réparti le payement de cette compensation, lorsque la chambre aura consacré le principe de l’émancipation. Ce système, qui a paru réunir l’année dernière l’assentiment de la chambre, celui de la Société d’émancipation, celui des colons eux-mêmes, le voici :

À qui profite l’émancipation ? D’abord aux esclaves, qui recouvrent la liberté, la famille, la propriété, la vie humaine ; ensuite aux colons, qui échangent une propriété périlleuse, menaçante, sans légitimité devant Dieu ni devant les hommes, contre une propriété de droit commun, contre une propriété qui ne fait ni rougir ni trembler son possesseur. Enfin, à qui profite l’émancipation ? À la société, qui rachète le principe inaliénable de la dignité humaine, et qui se réhabilite à ses propres yeux. La société, le colon, l’esclave, ont donc un égal intérêt à l’émancipation. L’indemnité de l’émancipation devra donc porter proportionnellement sur l’esclave, le colon et l’État ; c’est-à dire, messieurs, que le chiffre quelconque que vous poserez à l’indemnité devra être partagé entre l’esclave, le colon et l’État. Or, ce principe admis et son application régularisée entre ces trois catégories d’intéressés, soit par un emprunt, soit par termes successifs, soit par réduction des droits sur l’entrée des sucres coloniaux, comme le propose mon honorable ami monsieur de La Rochefoucauld, en combinant ces moyens d’indemnisation avec l’apprentissage nécessaire pour initier le nègre au travail libre, rien ne sera plus facile que de diviser et d’alléger le fardeau de manière à ce qu’il soit presque insensible pour chacun. Songez que l’Angleterre n’a pas hésité à jeter cinq cents millions dans la main de ses colons pour leur arracher les fouets et les chaînes ; mais songez que l’Angleterre avait quatre fois plus