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DE L’ÉMANCIPATION

cette loi qui viole un grand principe moral ; c’est que, le redressement de cette loi intéressant à la fois la société tout entière qui rachète un principe, le colon qui rachète une propriété légitime à la place d’une usurpation consacrée, l’esclave enfin qui rachète sa liberté vendue, avec la société, le colon et l’esclave, doivent concourir proportionnellement au redressement de cette loi, et subir leur part dans la compensation ou dans l’indemnité. En partant de cette base éminemment juste, en évaluant ce que la société gagne en recouvrant une vérité dans ses lois, le colon en rentrant dans le droit et dans la nature, l’esclave en recouvrant la liberté, en comptant les esclaves valides, en prenant leur prix moyen dans les dernières années, en faisant un total de cette somme, en la distribuant avec justice entre l’État, le colon et l’esclave, on arrive, en prenant des termes et des moyens indirects pour en solder une partie par des réductions sur les droits des sucres, on arrive à un résultat qui n’est point onéreux pour le trésor et qui soulage d’un poids intolérable la conscience d’un peuple équitable et moral !

La société, messieurs, n’est pas condamnée à ne jamais abolir les abus, les vices, les monstruosités de ses lois, parce que ces monstrueux abus sont devenus des propriétés directes ou indirectes ! Où en serions nous, si la société ne pouvait se dessaisir et s’exproprier de ses vices devenus propriétés pour quelques-uns ? La féodalité réclamerait ses serfs, l’État ses aubaines, l’inquisition ses confiscations, le bourreau son salaire perdu quand nous lui aurons supprimé son œuvre homicide ?

Non, messieurs, nous avons le droit d’être humains pourvu que nous sachions être justes, nous avons le droit de gémir et nous indigner de voir des hommes, nos frères, traqués comme de vils troupeaux, contraints à un travail de seize heures avec le fouet pour salaire, condamnés au concubinage le plus brutal, à la promiscuité des enfants, ces enfants vendus à un maître, la mère à un autre, le père à un troisième, l’âme profanée avec le corps. L’ignorance imposée à l’esprit, l’interdiction systématique de toute instruction élémentaire, même du droit d’apprendre à lire, la famille foulée aux pieds comme le germe de toute sociabilité qu’il faut écraser pour mieux abrutir l’espèce, une religion incompatible avec l’esclavage, prêchant en vain aux esclaves sa morale démentie par la violation de tout christianisme à leur égard, une dignité de l’homme insultée sous toutes ses formes en eux ! leur prêchant l’indépendance et la justice un fouet à la main ! Nous avons le droit d’abolir de telles atrocités sociales, ou, si on nous conteste le droit de les abolir, n’aurons-nous pas le droit de les racheter et de discuter avec les propriétaires à quel prix nous les rachèterons ?

Mais les propriétaires, il faut leur rendre cette justice, sont animés des mêmes sentiments que nous : cette propriété humiliante leur pèse, ils sont impatients de l’abdiquer, ils préparent l’esclave à la liberté par la douceur croissante et l’humanité de leur tutelle. Les esclaves respirent