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DE L’ÉMANCIPATION

dans des sociétés volontaires, et qui, pour des intérêts qui lui sont étrangers, où elle semble complètement désintéressée, force des hommes d’opinions, de religions et de nations diverses, à s’entendre d’un bout de l’Europe à l’autre pour ce noble but de l’émancipation ! C’est là ce que j’admire, c’est là ce qui devrait prouver aux plus incrédules, qu’il y a en l’homme quelque chose de plus fort, de plus irrésistible que la voix de l’intérêt personnel, quelque chose de divin, de surhumain, qui crie en lui-même contre ses mensonges, contre ses sophismes, et qui ne lui laisse le repos que quand il a satisfait à ses inspirations de justice, et inauguré dans ses lois le principe qu’il a dans son cœur !

Je sais, nous savons tous, une fatale expérience nous a trop appris que, dans des discussions de cette nature, nous devons peser toutes nos paroles, et étouffer sous la prudence du langage, sous la réticence souvent la plus entière, cette chaleur même d’humanité qui, sans péril parmi nous, pourrait allumer l’incendie ailleurs. Nous ne devons pas oublier, nous n’oublierons pas que chaque parole inflammable prononcée ici retentit non-seulement dans la conscience de nos collègues, dans l’inquiétude des colons, mais aussi dans l’oreille de trois cent mille esclaves, que ce que nous traitons froidement et sans danger à cette tribune touche à la propriété, à la fortune, à la vie de nos compatriotes des colonies, que nous devons veiller avant tout à leur sûreté, dont nous répondons devant Dieu et devant les hommes, et que nous ne devons éveiller dans les esclaves d’autres espérances que celles que nous pouvons satisfaire sans commotion pour les colonies, sans ruine pour les propriétés, sans trouble, sans agitation pour les esclaves. Je suis tellement pénétré, messieurs, de ce devoir, que, pour ma part, je ne me serais associé ni à cette discussion, ni aux efforts individuels des partisans de l’émancipation, si le contraste des colonies anglaises, où l’émancipation est effectuée, avec nos colonies, où l’esclavage est maintenu, et la présentation même du projet de loi, ne donnaient plus de péril au silence qu’à la délibération. Nous ne sommes plus au temps qu’on nous rappelle, où des orateurs, plaçant le fanatisme de l’humanité au-dessus de l’amour de l’humanité, qui n’est jamais séparé de la raison et de la prudence, s’écriaient : « Périssent les colonies plutôt qu’un principe ! » Aujourd’hui, messieurs, bien loin que cette alternative se pose devant nous, nous sommes assez éclairés et assez heureux pour que l’intérêt du principe et l’intérêt des colonies soient confondus, et nous devons dire au contraire : « En sauvant les principes, nous sauvons les colonies ! »

L’Angleterre, après de longues enquêtes, vient, par le bill de 1834, d’abolir l’esclavage ; les avantages du travail libre ont été constatés à ses yeux. Restaient les droits des colons ; le principe de l’indemnité a été admis, et la Grande-Bretagne vient de s’honorer et d’honorer l’homme par un des actes les plus inouïs qu’ait jamais accomplis une association d’hommes. Elle a racheté au prix de cinq cent millions le principe sans