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ACTE II, SCÈNE II

En se léchant la lèvre, il sortit à longs pas.
Plus tremblant que la feuille et plus froid que le marbre,
Quand l’aurore blanchit, je descendis de l’arbre,
Je voulus recouvrir d’un peu du sol pieux
Ces os de notre frère exhumé sous mes yeux.
Vains désirs ! vains efforts ! de ces hideux squelettes
Le tigre avait laissé les charpentes complètes,
Et, rongeant les deux corps de la tête aux orteils,
En leur ôtant la peau les avait faits pareils.
Surmontant mon horreur, « Voyons, dis-je en moi-même,
Où Dieu mit entre eux deux la limite suprême ?
Par quel organe a part, par quels faisceaux de nerfs,
La nature les fit semblables et divers ?
D’où vient entre leur sort la distance si grande :
Pourquoi l’un obéit, pourquoi l’autre commande ? »
À loisir je plongeai dans ce mystère humain :
De la plante des pieds jusqu’aux doigts de la main,
En vain je comparai membrane par membrane,
C’étaient les mêmes jours perçant les murs du crâne ;
« Mêmes os, mêmes sens, tout pareil, tout égal !
Me disais-je ; et le tigre en fait même régal,
Et le ver du sépulcre et de la pourriture
Avec même mépris en fait sa nourriture !
Où donc la différence entre eux deux ?… Dans la peur :
Le plus lâche des deux est l’être inférieur ! »
Lâches ! sera-ce nous ? et craindrez-vous encore
Celui qu’un ver dissèque et qu’un chacal dévore ?
Alors tendez les mains et marchez à genoux,
Brutes et vermisseaux sont plus hommes que vous !
ou si du cœur des blancs Dieu vous a fait les fibres,
Conquérez aujourd’hui le ciel des hommes libres !
La liberté sera le prix de nos efforts.

pétion.

Liberté pour nos fils et pour nous mille morts !