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ACTE II, SCÈNE II

La nudité, la faim, les sueurs, les tortures,
Le fouet et le bambou marqués sur votre peau,
Les aliments souillés, les rebuts du troupeau ;
Vos enfants nus suçant des mamelles séchées,
Aux mères, aux époux, les vierges arrachées ;
Comme un autre bétail, vous-mêmes, en un mot,
Vendus et revendus ou par tête ou par lot ;
Vos membres dévorés par d’immondes insectes,
Pourrissant au cachot sur des pailles infectes ;
Sans épouse et sans fils vos vils accouplements,
Et le sol refusé même à vos ossements !
Pour que le noir proscrit, qu’il vive ou qu’il succombe,
Sans famille ici-bas, fût sans Dieu dans la tombe.
Rappelez tous les noms dont ils nous ont flétris,
Titres d’abjection, de dégoût, de mépris ;
Comptez-les, dites-les, et dans votre mémoire
De ces affronts des blancs faisons-nous notre gloire !
Que ce soit l’aiguillon qui, planté dans la peau,
Fait contre le bouvier regimber le taureau ;
Il détourne à la fin son front stupide et morne,
Et frappe le tyran, au ventre, avec sa corne.

Hourra.

Vous avez vu piler, pour la poudre à canon,
Le soufre, le salpêtre et le noir de charbon ?…
Sur une pierre creuse on les pétrit ensemble ;
On charge, on bourre, et feu ! le coup part, le sol tremble !
Avec ces vils rebuts de la terre et du feu,
On a pour se tuer le tonnerre de Dieu !
Eh bien, bourrez vos cœurs comme on fait cette poudre !
Vous êtes le charbon, le salpêtre et la foudre !
Moi, je serai le feu, les blancs seront le but…
De la terre et du ciel misérable rebut,
Fais voir, en éclatant, ô race enfin vengée,
De quelle explosion les siècles t’ont chargée.