Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 30.djvu/96

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Va ! dans ces jours d’épreuve, et de deuil et d’alarmes,
Pleure sur les vivants, s’il te reste des larmes ! »
Il dit, et vers le nord m’emportant dans les airs,
Il me montra de loin un rocher sur les mers.
« Voilà cette Albion, cette reine des ondes,
Dont les vaisseaux légers, messagers des deux mondes,
Ouvrant leur aile immense aux fougueux aquilons
Se jouaient sur les eaux comme des alcyons !
Ses fils régnaient partout où règnent les tempêtes !
Ses filles, de l’Europe embellissant les fêtes,
Respiraient l’innocence, et dans leurs chastes yeux
Réfléchissaient l’azur de la mer et des cieux,
Et, dénouant aux vents leurs chevelures blondes,
Aimaient à soupirer au murmure des ondes !
Hélas ! elle a péri comme Tyr et Sidon,
Et les flots qu’elle brise ont oublié son nom ! »
Il disait, et déjà, sur les rives profondes
Où du sang des humains le Rhin teignait ses ondes,
Il reprenait sa course, et du sommet des airs
Me montrait vers le nord ces empires déserts
Qui, sous des cieux glacés où languit la nature,
Formaient autour du pôle une étroite ceinture.
Bords affreux qu’aux rigueurs d’un éternel hiver
L’homme osa conquérir et ne put conserver !
Leur faux éclat ne fut qu’un brillant météore,
Pareil aux feux trompeurs de cette fausse aurore,
Qui, de leur longue nuit perçant l’obscurité,
Teint leur sombre horizon d’un moment de clarté !
Puis, franchissant les monts de la verte Helvétie,
Il rase, en serpentant, les plaines d’Italie,
Traverse l’Apennin, voit l’Arno dans son cours
De ses bords dépeuplés embrasser les contours,
Comme un cygne des lacs que le printemps ramène
Voit son aile briller dans l’eau du Trasimène,