Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 30.djvu/90

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Seul et dernier témoin d’un peuple anéanti,
Flottait comme le mât d’un navire englouti !
Voilà ces monts glacés d’où descendait l’aurore ;
De son pâle reflet l’astre les frappe encore !
Mais leurs fronts, dépouillés par l’aile des autans,
Semblent s’être abaissés sous le fardeau du temps !
Ici, teignant leurs pieds d’une écume azurée,
Le Rhône en bouillonnant sillonne la contrée
Où, s’avançant vers lui par d’obliques détours,
La Saône en serpentant fait douter de son cours,
Se rapproche, s’éloigne et revient avec grâce
S’unir en murmurant au fleuve qui l’embrasse.
En remontant le cours de ces tranquilles eaux,
Je vois à l’Occident onduler ces coteaux,
Dont les sommets, pareils aux vagues écroulées,
Semblent en se courbant fondre sur les vallées.
C’est là que je naquis ; voilà l’humble séjour
Où mon regard s’ouvrit à la beauté du jour.
Sur le flanc décharné de cette humble colline,
Le lierre embrasse encore une antique ruine.
C’était… Pardonne aux pleurs qui tombent de mes yeux,
C’est un dernier débris du toit de mes aïeux !
De là, longeant les bords de la mer de Tyrrhène,
Il s’abat comme un aigle au sommet de Pyrrhène,
Me montre avec horreur aux rives des deux mers
L’Ibérie étalant ses monuments déserts.
L’Alhambra, fier encor de ses splendeurs antiques,
Prolongeait sous mes pieds ses élégants portiques,
Où l’Arabe, accouplant les gracieux arceaux,
A façonné le marbre en flexibles berceaux.
« Deux peuples ont bâti ces murs que tu contemples !
L’Arabe et le chrétien ont prié sous ces temples !
Les pierres sont debout : les peuples ont passé ! »
Il dit, et franchissant Pyrrhène au front glacé,