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moyen. J’ignore ce qu’il disait à Régina dans ces lettres ; je les lui voyais lire et relire vingt fois par jour, tantôt avec des bondissements de joie et d’espérance dans le jardin, tantôt avec des mouvements de colère qui semblaient s’adresser au papier et qui lui faisaient par moments jeter les lettres à terre et les fouler sous ses pieds. J’entrevoyais dans ses regards et dans ses demi-mots à table qu’elle le trouvait trop résigné à la séparation et trop convaincu des ménagements que sa tendresse même pour elle commandait à son amant pour sa séparation et pour son avenir. Que lui importait à elle sa réputation et son avenir ? Elle voyait tout en lui. Mais Saluce, qui avait vécu longtemps en Angleterre, avait dans l’amour même quelque chose du sang-froid, de la réserve délicate et du sentiment presque religieux de convenance qui distingue cette société de règle et de bon sens. Il était évident qu’il ne voulait à aucun prix, même au prix de sa vie, sacrifier l’honneur, l’avenir et la fortune de Régina à son propre bonheur, si le procès en nullité de mariage perdu par ses hommes de loi venait à la restituer à son mari. J’entrevoyais confusément moi-même quelque chose de cette délicatesse peut-être un peu tardive de sa part, dans les mots courts et tristes que je recevais de lui sous l’enveloppe de ses longues lettres à Régina et à la comtesse. Mais les lettres des hommes d’affaires et des amis de Livia ne permettaient pas un doute sur la prompte annulation du mariage. Rien ne s’opposerait alors à ce que Saluce recouvrât sa liberté et à ce qu’il obtint Régina des mains d’une grand’mère qui voyait d’avance en lui un fils.

Il y avait ainsi des alternatives constantes de joie folle et de nuages sombres sur les traits de Régina, selon que le courrier de Rome, adressé à Nyon par un banquier de Genève, apportait l’espérance ou la transe à ces deux