Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 30.djvu/49

Cette page a été validée par deux contributeurs.

« J’eus le temps (si le temps existe devant une pareille apparition, et je crois que non), mais enfin, j’eus ce qu’on appelle le temps de regarder de tous mes yeux extérieurs et intérieurs la ravissante figure qui s’avançait nonchalamment, les bras pendants, les regards baissés sur le pavé de la chapelle. Les statues de pierre qui étaient dans les niches derrière l’autel n’étaient pas plus de pierre que moi. Je ne crois pas que ma respiration seulement eût soulevé une fois mon sein depuis que mon regard était attaché sur elle. J’aurais voulu qu’elle avançât toujours et n’approchât jamais. Il me semblait qu’elle portait ma vie, et que le premier cri, le premier geste, allaient faire tout disparaître et la briser dans sa fuite !

« Soit qu’elle fût trop absorbée dans sa pensée, soit que le rayon qui tombait d’aplomb du dôme à jour du petit cloître, et qui rejaillissait sur l’or et sur le marbre de l’autel, éblouît ses yeux, elle ne me voyait pas encore, bien qu’elle ne fût plus qu’à six pas de moi. Sans relever la tête, arrivée au bord de la pierre du tombeau de ma sœur, elle s’agenouilla. Elle déposa doucement le gros bouquet qu’elle portait dans ses mains sur le marbre, comme si elle eût craint que le bruit de ces feuilles de roses posées sur un cercueil ne réveillât la morte endormie. Puis elle resta un moment immobile et en silence, regardant la pierre et remuant légèrement ses lèvres, où je crus saisir le nom de notre chère Clotilde.

« Je ne puis te dire ce qui se passa en moi en voyant que je ne sais quelle parenté funèbre existait entre cette âme revêtue d’un corps céleste et la mienne, et qu’avant de nous être entrevus, un sentiment commun nous unissait dans ce culte de ma sœur. « Serait-ce, me disais-je en moi-même, cette Régina dont Clotilde fut si aimée ? Mais Clotilde m’avait écrit, peu de temps avant sa mort, qu’elle