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par un autre, dit tristement la vieille dame. Je n’emploierai certainement pas la main de la justice pour arracher le fruit greffé de l’arbre auquel il s’est identifié depuis huit ans. Je ne déchirerai pas quatre cœurs pour consoler et guérir le mien.

« — Que faire ? dit la supérieure.

« — Que faire ? dit Geneviève.

« — Que faire ? dit la vieille dame.

« — Laissez faire la loi ! dit le juge de paix.

« — Laissez faire la nature ! m’écriai-je tout ému et tout attendri.

Luce se jeta à mes genoux et me jeta l’enfant dans les bras, comme si j’avais été une main offerte du bord à une mère tendant un fils à sauver du fond d’un torrent débordé.

Je le déposai à terre devant Geneviève, qui se baissa pour l’embrasser, et je dis à la vieille dame :

« La loi vous le donne, Madame ; la nature le donne à Geneviève ; mais la tendresse le donne à Luce… Mais lui-même, à qui se donne-t-il ?

« — À ma mère, à ma mère, à ma mère Luce ! s’écria le pauvre enfant en cherchant à s’échapper de mes mains et en tendant ses petits bras à la villageoise.

Geneviève releva le coin de son tablier pour essuyer ses yeux, et dit tout bas en sanglotant à Luce :

« — Je vous ai, avec l’aide de Dieu, sauvé votre mari ; je ne veux pas vous prendre votre enfant, je vous le donne.

« — Et moi, dit gravement la vieille dame, je ne veux pas, pour la consolation de mes vieux jours, enlever à cet enfant une si excellente mère. Je vous le donne aussi. Ce que Dieu a placé lui-même est bien placé. Je ne dérangerai pas la Providence.

« — Ô bonté divine ! s’écria Luce en se jetant aux genoux