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jusqu’à un certain point dans la chose matérielle, et ne lui communique pas, non une vertu secrète, mais un signe présent et visible de vertu ! une émanation de l’être absent qui imprime à l’objet donné en souvenir une continuité de présence, d’amour, de protection. Je divague, mais c’est égal, je ne me fais pas avec toi plus surhumain que je ne suis. Bref, je voulais une relique réelle de ma pauvre sœur pour placer sur le cœur, au cou, au doigt, ou dans mon portefeuille. Il fallait aller demander cette relique où elle était. Je pris mon courage dans mon désir et j’y allai.

« Mais trois heures du matin sonnent à Saint-Pierre ; je t’ennuie ; c’est égal encore, je continue. Je ne puis pas dormir, il faut que j’écrive, tu ne liras pas si tu veux.

« J’y allai donc ; et quand ? Y a-t-il un siècle ? En vérité, il me semble qu’il y a un siècle et que l’image qui est en ce moment dans mes yeux, quand je les ferme, y a toujours été. Eh bien, il y a la moitié d’un jour et la moitié d’une nuit ! O temps ! tu n’existes pas ! tu n’es que le vide de ce qui n’est pas encore, attendant ce qui doit être. Aussitôt que ce vide est rempli, il n’y a plus de temps : à quoi mesurer ce qui n’est plus ?

« Donc j’allai, à deux heures après midi, par un brûlant soleil qui me faisait chercher l’ombre rapprochée des murs, et qui chassait des rues désertes toute figure humaine, sonner tout tremblant à la petite porte du couvent de ma sœur. La porte s’ouvrit comme d’elle-même et j’entrai, sans avoir vu personne, par une allée qui débouche dans la cour. Personne non plus ; tout le monde faisait la sieste dans les cellules. Une main de tourière assoupie m’avait apparemment tiré d’en haut le verrou de la porte grillée. J’étais heureux de cette solitude complète ; une voix m’aurait brisé le cœur ; une figure quelconque se serait interposée entre l’image de ma sœur et moi. Je regar-