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« Le marché fait, je lui donnai des arrhes, et j’emportai l’enfant tout nu, en lui laissant le berceau et la layette. Je sentais bien que je faisais mal, et pourtant j’étais plus contente en m’en allant que si j’avais déterré un trésor. Je n’aurais jamais cru que le bien fît tant de plaisir. C’est aussi que je pensais à la douleur que cela allait épargner à mon cher Jean !


CLXVI


« Tout se passa comme j’avais pensé. Jean, à son retour, me voyant ce bel enfant au sein, ne se douta seulement de rien, et il aima ce petit comme il aurait aimé le sien. La tête a des yeux, voyez-vous, Geneviève, mais le cœur n’en a pas. Il aime ce qui se laisse aimer, sans demander le nom ni l’extrait de baptême. Cela a duré comme cela neuf ans. Le bon Dieu ne m’a pas donné d’autre enfant. Mon mari a appris son état à Bastien, et il a commencé, depuis un an, à le conduire avec lui pour allumer sa forge entre deux pierres et pour mener le soufflet.

« Maintenant que vouliez-vous que je fisse, quand j’ai vu que le pauvre Jean s’y trompait jusqu’à l’article de la mort, et qu’il allait déshériter ses vrais parents en donnant sa maison et sa broussaille à un étranger ! Il fallait bien avouer ou aller un jour devant Dieu comme une voleuse de bien d’autrui ! Oh ! ça, non ! Tromper le cœur d’un homme pour son bien, oui ; mais voler à tout jamais l’avoir d’une pauvre famille, non. Qu’auriez-vous fait à ma place, mam’selle Geneviève ?

« — Oh ! moi, dit Geneviève en regardant l’enfant, j’aurais fait comme vous ! Je le sens, j’aurais volé l’enfant, mais j’aurais rendu l’héritage !