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jouer au soleil dans le creux de mon tablier. Ça m’amusait de les regarder faire. Ils s’embrassaient, ils s’enlaçaient, ils se riaient l’un à l’autre comme deux chevreaux blancs entre les jambes repliées de la mère, et moi je les agaçais du front et de la bouche et des doigts pour les encourager à jouer.


CLXII


« Voilà qu’au moment où je ne pensais à rien, celle des chèvres de la mère Maraude qui nourrissait aussi le petit saute tout à coup de la muraille de la cour sur le rocher, comme si elle eût été jalouse qu’on lui prît son nourrisson, et s’élance contre moi les cornes contre mon sein. Je fais un geste pour me garantir le visage avec mes deux mains, mes genoux s’ouvrent sans que j’aie le temps d’y songer, et les deux petits roulent de mes pieds sur le rocher, d’abord lentement, lentement, comme deux gerbes de foin léger que le vent et la pente entraînent, puis enfin vite, vite, de touffe d’herbe en touffe d’herbe, de fougère en fougère, jusqu’au fond de la ravine, où il y avait une large flaque d’eau ! Je me lève, je jette un cri, je lève les bras au ciel, je penche la tête sur le précipice pour voir au fond, je supplie tous les anges du paradis de faire pousser miraculeusement une épine, une racine, une pierre, pour retenir mes pauvres petits sur la pente avant le bord de l’eau où ils peuvent se noyer ! Je me suspends moi-même par les orteils de mes pieds nus et par les ongles de mes doigts aux herbes et aux sables, pour glisser au fond avant eux et les retenir avant leur chute ! Hélas ! c’était trop tard, ma pauvre demoiselle ! J’en entends un dont le corps fait le bruit d’une pierre