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tempérament, et que je lui avais donné plus de peine, ne voulut pas se séparer de moi. Elle me traita tout comme si j’avais été sa propre fille et m’éleva avec Jean, qui avait seulement quatre ans d’âge en avant de moi. On disait aussi que j’étais l’enfant d’une grande dame de Genève ou de Chambéry qui ne pouvait pas me reconnaître, mais qui faisait passer secrètement, tous les ans, de petits cadeaux de beaux linges et d’habits à ma mère nourrice pour l’engager à avoir un soin plus tendre de moi. Mais je n’en ai jamais su autre chose, si ce n’est que la mère de Jean disait quelque temps avant sa mort à une voisine qui lui reprochait de m’avoir laissé épouser à son fils : « Dites ce que vous voudrez de Luce, allez ; si elle n’a pas d’extrait de naissance du maire, elle en a un fameux du bon Dieu, allez ! S’il y a de la honte dans ce mariage, elle n’est pas pour mon garçon. »


CLIII


« Donc j’aimais Jean sans le savoir, et Jean m’aimait sans s’en douter, et la mère le voyait bien, elle ; et voilà qu’un jour elle nous dit : « Vous vous aimez. — Tiens, que nous dîmes tous deux en rougissant, c’est donc vrai pourtant ? — Eh bien, dit la mère, il faut vous épouser. » Nous fûmes bien aises, bien aises, car nous nous aimions véritablement depuis l’âge de douze ans, sans connaître comment ça s’appelait, et nous nous mariâmes pour rester, lui et moi, tout seuls et toute la vie avec la mère de Jean, qui n’avait plus ni mari ni enfants à la maison.