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que tu l’aimes trop, notre petit ? Est-ce qu’il n’est pas le tien comme le mien ?

« — Oh ! pardonne-moi, pardonne-moi, mon pauvre Jean ! dit Luce en lui prenant les deux mains froides dans les siennes et en y collant son front comme pour l’enfoncer dans l’ombre de la mort. Non, ce n’est pas le mien ; non, ce n’est pas le tien. Le nôtre est mort à deux mois ! Je n’ai pas voulu t’affliger à ton retour en te l’avouant ; j’ai menti, j’ai menti, par amour pour toi d’abord, et puis par amour pour le petit après ! Mais je ne veux pas mentir à Dieu jusqu’à la mort, ni charger ma conscience du vol que je te ferais faire à nos parents en te faisant donner tout ton pauvre bien à un enfant qui n’est pas le nôtre ! Ce testament serait un larcin, Jean ! Écrivez, monsieur le notaire, ce qu’il vous dira maintenant ! »

Luce, après avoir arraché ces aveux de sa conscience, attendit, comme frappée de la foudre, la réponse du mourant.

« Eh bien, dit Jean, après un long intervalle de silence pendant lequel il semblait rechercher péniblement dans sa mémoire les fils embrouillés de sa pensée, tu ne m’as trompé que pour ma tranquillité, dit-il à sa femme ; je te pardonne et je te bénis pour ton mensonge à l’article de la mort, Luce ! J’aimais ce petit comme s’il était le tien et le mien ; mais je ne dois pas priver mes parents. Écrivez, monsieur le notaire, que je laisse mon bien en jouissance à ma femme, et après elle à mes parents. »

Le notaire écrivit, les témoins signèrent et se retirèrent. Le malade, épuisé d’émotions, retomba dans les sommeils et dans les délires d’où l’arrivée du notaire l’avait momentanément tiré.

Luce fut prise d’une légère fièvre, à force de trouble d’âme, et couchée sur un des lits de la même chambre où